Linguiste, financier et spécialiste en communication, Ahmed Benzelikha est aussi un auteur prolifique. Après “Elias” (éditions Casbah), il signe chez le même éditeur “Les Dupes”, un livre fort passionnant et intéressant, dont la trame est construite autour d’un tableau volé. Ainsi, le roman aborde “un ensemble de thématiques enchâssées, tout en proposant plusieurs grilles de lecture : philosophique, psychologique, politique, sociale…”.
Liberté : Vous venez de signer un nouveau roman plutôt sombre. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce texte ?
Ahmed Benzelikha :Attendez, d’abord le roman, même s’il emprunte aux codes tant du thriller que du roman psychologique, n’est pas si noir, il s’en dégage cette lumière bleutée des smartphones que j’évoque dès les premières pages, c’est le monde qu’on nous propose qui est, peut-être, sombre et le dénoncer, sans complaisance ni cynisme, est nécessaire. Ainsi la torture, l’emprise violente d’un individu sur un autre pour le faire souffrir est une ignominie que le livre aborde pour en démonter les mécanismes et en révéler l’horreur. En tout cas le livre se termine, avec une fin ouverte, sur un lever de soleil porteur de lumière, de beauté et de discernement. Sur une nouvelle chance. Cette nouvelle chance qui est toujours donnée, au monde, aux êtres, aux nations et aux sociétés qui les font. Notre échange de propos me fait penser, enfin, à une belle citation de Stefan Zweig : “Mais toute ombre, en dernier lieu, est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu.”
Cela dit, il est vrai que par rapport à mes précédents livres, qui étaient, je dirais, emplis de lumière, en particulier La Fontaine de Sidi Hassan et surtout Elias qui est typiquement un roman “solaire”, Les Dupes serait plutôt à chercher du côté du clair-obscur cher à Rembrandt ou du côté obscur de Dark Vador de La Guerre des étoiles ou encore, et la référence est directe dans un des passages du récit, du côté du Faucon maltais de Hammett mais aussi de Huston. Nous sommes dans Les Dupes, comme de plus en plus dans la vie courante, à la frontière du réel et du virtuel. En fait, pour répondre à votre question, vous savez qu’il est toujours difficile d’expliquer la genèse d’une œuvre romanesque, tant les faisceaux et les auspices sont nombreux et divers, dans un monde complexe et devant un être humain toujours aussi porteur de passions et de faiblesses, mais disons que, principalement, deux choses auraient pu me motiver : mes travaux sur l’éthique de l’intelligence artificielle, conduits dans le cadre de l’Unesco, et ma spécialisation dans la communication digitale.
J’avais couvert, par ailleurs, j’étais alors jeune journaliste, une mission archivistique venue du Québec qui travaillait, notamment, sur le développement du Cerist et donc d’internet qui, à l’époque, vers 1990, en était encore à ses balbutiements. Rien n’indiquait alors le formidable outil qu’allait devenir celui-ci ni aussi que, vingt ans plus tard, j’allais devenir membre du Conseil d’administration du même Cerist, mais déjà le monde virtuel me fascinait et me fascine toujours tant son potentiel de développement demeure intact.
À ce propos, laissez-moi vous dire que l’avenir va nous réserver beaucoup de surprises, si nous n’en saisissons pas, dès maintenant, les enjeux et les donnes de ce qui n’est plus seulement un outil, mais, véritablement, une nouvelle dimension qui façonne de nouvelles manières de penser, de faire et d’être à tous les niveaux et dans tous les domaines, de la petite transaction commerciale à la grosse manœuvre géostratégique, mon roman s’en fait d’ailleurs l’écho avec le conflit avec ce pays imaginaire, emprunté à Hergé (un peu de fantaisie n’ayant jamais tué personne), qu’est la Bordurie.
La trame est constituée autour de l’œuvre Quand te maries-tu ? de Gauguin. Que vous inspire cette toile ?
Vous savez, je suis passionné d’art, au-delà de mon profil et de ma carrière, dans les domaines financier, administratif et de contrôle, j’ai toujours été attiré par cette marge de beauté et de créativité, où l’émotion mais aussi et surtout l’intelligence trouve tant à s’exprimer qu’à se manifester, tant et si bien d’ailleurs que l’indicible et l’inexprimé y trouvent matière et portée. L’art, en fait, n’est pas, comme le croient beaucoup, à l’instar de l’idée d’ailleurs qu’on se fait de la culture, accessoire et délicat, bien au contraire il est nécessaire et constitue un puissant levier, il fait la force symbolique des nations et des causes, ainsi que conservons-nous, par exemple, de l’Andalousie, si ce n’est toutes ces œuvres d’art que sont ses joyaux architecturaux ? La peinture, quant à elle, peut être appréhendée à travers un de ses illustres représentants (qui ne nous intéresse pas ici comme homme mais comme artiste), Gauguin ! Le nom, à lui seul, évoque un univers particulier marqué par le trait synthétique et le traitement intensif des couleurs, mais aussi par la quête d’un absolu qu’on devine inaccessible. Gauguin résume artistiquement, si je puis dire, la condition humaine et la perception que nous voulons avoir de la réalité en la dépassant, en cherchant notre propre sens à notre présence au monde.
C’est ce sens finalement que cherche chacun des protagonistes du roman. Chacun à sa manière, face à un monde qui veut automatiser, uniformiser, standardiser, réifier et monétariser. Pour le tableau Nafea faa ipoipo ? (Quand te maries-tu?) qui est au centre de la trame des Dupes, je crois qu’il est représentatif d’une démarche remettant l’humain au centre de ce que nous sommes et de ce qu’est le monde. Les deux personnages du tableau sont au centre non seulement de la spatialité de l’œuvre, mais aussi de sa puissance esthétique et signifiante.
Les deux femmes qui “sont” et qui “font” le tableau sont une source de sens (signification) et de sens (sensoriel) et, au-delà, de sensualité (comprise dans son acception la plus large) extraordinaire. Le titre lui-même, d’une sonorité particulière en tahitien, est empli de mystère et de suggestions interprétatives, qui laissent la porte ouverte à toutes les possibilités, comme, justement, la trame de mon livre. Enfin, au milieu de ce paradis naturel, qu’est le paysage qui les entoure, représentatif du monde primitif originel, cher à Gauguin, les deux femmes proposent, semble-t-il, deux choix, celui de la liberté et celui de l’uniformité, de la réflexion et du dogme, de l’humanisme et de la standardisation, représentés par les tenues et attitudes respectives des deux femmes. Enfin, le choix s’est aussi porté sur cette toile du fait qu’elle a été au centre d’une des plus importantes transactions du marché de l’art (puisqu’il existe malgré l’antinomie que je ressens à voir ces deux notions réunies), transaction que je revisite dans mon roman, grâce à des développements imaginaires, pour illustrer les thèses que je défends, à la tête desquelles la nécessité d’un monde humain, juste, solidaire, ouvert et fondé non sur les intérêts mais sur les hautes valeurs comme autant de solides repères, loin de la marchandisation de l’art, des sentiments et des êtres.
D’ailleurs, les différents personnages liés par cette toile ont fini par se perdre à cause, notamment, de la cupidité, de l’amour du pouvoir, des apparences… Est-ce une analyse personnelle de la société contemporaine ?
Merci de vous être montrée attentive à la construction complexe et raisonnée du récit, dont j’ai voulu que la forme illustre aussi le fond, comme dans la plupart de mes livres, hormis les essais qui s’inscrivent dans une autre démarche, le plus souvent académique.
Comme vous le savez, j’ai été longtemps chroniqueur dans la presse nationale et internationale et vous savez aussi combien ce genre d’exercice journalistique vous pousse à porter un regard attentif et parfois acéré sur les réalités sociales et les mutations socioéconomiques qui, le plus souvent, les sous-tendent.
Si vous ajoutez au sens de l’observation journalistique une propension à la recherche et à l’analyse acquise dans mes domaines de compétences professionnelles, ainsi qu’un esprit rigoureux et attentif, il est probable que vous soyez tenté par l’analyse sociale, mais non pas comme le sociologue ou le psychosociologue, je ne suis ni Bourdieu ni Slimane Medhar, même si à mon âge et au vu de mon itinéraire je ne me fais aucune illusion sur la nature humaine, mais plutôt comme tout romancier qui dresse le tableau, tant d’une société que des individus qui la composent, à travers les mondes imaginaires qu’il propose non pas seulement au délassement des lecteurs mais aussi et surtout à leur réflexion. La société contemporaine est-elle celle des Dupes ? Seule une lecture attentive du livre, mais aussi des mutations de ce XXIe siècle débutant, peut permettre une réponse satisfaisante à cette question… que vous pouvez poser, comme tant d’autres questions, à Google !
Mais en fait, au-delà de cet aspect, le roman aborde un ensemble de thématiques enchâssées, tout en proposant plusieurs grilles de lecture : philosophique, psychologique, politique, sociale, sociologique, économique, morale, sans jamais m’ériger en moraliste, et même intertextuelle pour les plus avertis. En définitive, Les Dupes constitue une lecture dynamique et lucide des enjeux d’un monde nouveau qui se dessine sous nos yeux, tout en étant un travail littéraire accompli que j’ai voulu le plus attrayant au plan de l’intrigue, répondant ainsi aux attentes des amateurs de romans de différents genres, comme vous pouvez le constater.
Vous dressez un tableau plutôt noir sur la complexité de l’Homme. Et cette complexité, nous la vivons à travers un “chassé-croisé entre amour, crime, argent, pouvoir et peinture”. Avez-vous ressenti le besoin d’écrire sur ces thématiques ?
Je vous le disais au début de notre entretien, la noirceur n’est pas tant dans le tableau que dans le modèle qu’il dépeint ou le sujet qu’il traite.
Je suis un grand admirateur de Shakespeare et de Dostoïevski, et je pense qu’une de leur qualité première est d’avoir proposé au lecteur intemporel un personnage intemporel, et ce personnage est l’être humain, l’éternel humain avec ses faiblesses et sa noirceur, comme vous dites (et voyez, ici, comment, en deux mots évocateurs, se dresse, par la puissance de l’évocation littéraire, la figure tourmentée d’Othello), mais aussi sa grandeur et sa lumière, représentées, dans Les Dupes, par le peintre Matt dont le martyre est quasi christique, mais aussi par la pugnacité de l’honnête officier de police, à eux deux ils symbolisent ce qu’il y a de meilleur dans l’homme depuis Abel : son sens du sacrifice et sa droiture. Tous deux d’ailleurs mènent un cheminement intérieur qui les conduit à ces questionnements sur l’amour qui composent une partie du livre et qui démontrent le caractère central de la noblesse des sentiments dans le monde que nous espérons.
Me vient à l’esprit, ici, une citation du Coran qui affirme, traduite en français : “Et ils peinent comme vous peinez et vous espérez de Dieu ce qu’ils n’espèrent.”
Quant à la peinture, elle représente l’art, lieu humaniste par excellence, espace de partage et don divin, elle symbolise la beauté de que nous sommes et de ce qu’est le monde, une plus-value faite d’émotion et de plaisir, un bonheur particulier, celui de l’esthète, quel qu’il soit, même si, pour ma part, je préfère, loin de ce qu’on nomme pompeusement les élites, celui populaire et spontané des milieux modestes auxquels j’appartiens, qui confirme qu’en tout homme il y a une part de Dieu. Par ailleurs, on ne le souligne pas assez, la peinture a de commun avec l’écriture d’être une “accoucheuse de rêves”, selon les termes de Christiane Chaulet-Achour à propos de Mohammed Dib, référant au travail pictural de Picasso dans Guernica pour expliquer comment le travail créatif du peintre ou de l’écrivain, non seulement transcende la réalité mais la sublime en l’exprimant “mieux” qu’elle l’aurait fait par elle-même. Guernica exprime ainsi plus profondément l’horreur de la guerre que ne l’aurait fait une reconstitution réaliste du bombardement historique, tout comme l’écriture romanesque dans sa distanciation relative et dans sa capacité créative (d’aucuns diront démiurge), cherche à différemment explorer et exprimer les facettes d’une réalité qu’elle soumet au questionnement littéraire, qui est celui de la portée du sens et de l’imaginaire.
Ce monde nouveau est “dirigé” par les réseaux sociaux, la vie virtuelle, le fake, les faux-semblants. Pensez-vous qu’à l’ère de toutes ces technologies l’Homme arrivera-t-il à retrouver le Beau, les valeurs et sa liberté ou alors nous avons été bien “dupés” ?
Je pense que nous avons évoqué l’Unesco au début de notre entretien. Cette organisation, qui n’est plus à présenter, est mandatée par la communauté internationale pour conduire une réflexion sur l’éthique de l’intelligence artificielle dont je me suis fait l’écho en Algérie en organisant la première conférence dans notre pays sur cette thématique.
Je pense que des éléments de réponse à votre question se trouvent à ce niveau. En effet, même si les progrès technologiques connaissent le plus grand développement et un développement qui va aller en s’accentuant, il nous faut agir pour aménager des garde-fous d’abord aux problématiques les plus controversées mais aussi des conduites et un savoir-être, qui nous permettent de sauvegarder ou de retrouver liberté, valeurs et cette notion du Beau, qui a donné non seulement celle du beau paysage ou du beau tableau, mais aussi celle de la belle âme ou de la belle action et qui rejoint celle du Bien. Je crois que prendre conscience des enjeux, comprendre les nouveaux logarithmes, les nouveaux systèmes d’organisation, analyser prospectivement et se projeter dans le monde de demain permet aux compétences d’aujourd’hui, pour peu qu’on les mobilise en les valorisant, de relever non seulement les défis technologiques mais aussi éthiques, que j’aime à croire profondément indissociables. C’est ainsi, me semble-t-il, que la condition humaine sera améliorée en lui assujétissant les progrès technologiques, pour servir le progrès et le bien-être de tous, et non, surtout pas, l’inverse pour le profit de quelques-uns. Ne soyons pas “dupes”, pour vous reprendre, faisons-en sorte que le monde de demain soit celui de l’homme et de ce qu’il y a de beau en lui et non celui de la jungle et des imbéciles connectés. Il y a plus de trente ans, en 1989, j’avais fait paraître un manifeste, paru dans la presse et intitulé Pour une nouvelle intellectualité, où j’appelais au renouvellement non seulement des élites, mais aussi et surtout des concepts et des approches. Ce manifeste reste, trente ans après, toujours d’actualité, ce qui nous promet encore de beaux efforts à fournir, de beaux combats à mener, de belles causes à défendre et de beaux livres à écrire, inchallah !
“Ce matin, Elias avait décidé de partir. Oui, partir, conjuguer ce verbe de tout son élan, tout abandonner et s’en aller, comme on se lève d’une chaise ou, miraculeusement, d’un fauteuil roulant. Sa décision était irrévocable et sans détour. Sans hésitation et sans retour, il devait le faire. Partir.”
Ce petit livre en forme de conte initiatique, “Odyssée” moderne ne peut pas nous laisser indifférents. Tout d’abord parce qu’il est un magnifique hommage à la Méditerranée, mais surtout parce que nous sommes tous, tôt ou tard, candidats au départ, voire à l’exil. Le bruit des villes, le rayonnement des hommes mauvais, parfois notre médiocrité qui nous apparaît tous les matins dans le miroir nous inclinent à “larguer les amarres”.
Stasis était une cité qui ne donnait aucune chance et Elias se devait de se donner lui-même sa dernière chance, lui qui avait tout raté, sa vie, son travail, son passé, ses projets et toutes ses chances. (…) La Méditerranée était, à ce titre, aux yeux d’Elias, l’accomplissement d’une intimité singulière entre l’homme et la mer, les cultures et les civilisations, les représentations et la manière d’être, l’histoire et le devenir. Elle était un chant, un hymne, un grand poème dont les vers étaient ses vagues et le souffle de Dieu, ou des dieux d’antan, l’écume. Bramble avait raison, un marin méditerranéen était aussi un poète qui s’ignorait.
Mais avant d’entreprendre le voyage, il faut se demander si le départ est possible dans le monde tumultueux où vit l’Homme d’Occident. Faut-il s’exiler sur des montagnes solitaires, comme Ulysse abandonner toute sa famille, ou enfin prendre le premier cargo vers une destination inconnue ? En 1937, dans la “Beauté invisible”, Maurice Magre écrivait : “Il faut partir. La caravelle est là, les voiles sont gonflées, le vent souffle. Le voyage sera-t-il long ou bref, heureux ou terrible ? Et quand on a longtemps médité sur les possibilités du départ, quand on est sur le point d’y renoncer, il advient que par un invraisemblable jeu de la nature, on s’aperçoit tout d’un coup qu’on est arrivé sans être parti.”
Deux quêtes s’entremêlent dans cet ouvrage où l’auteur fait montre d’un magnifique talent de conteur et surtout d’une érudition qui nous laisse penser qu’il sait que derrière la face visible des choses, se cache toujours l’invisible face. Il y a celle d’Elias à la recherche du mystérieux “Masque de Dieu” qui est celui de la Vérité (ou de la connaissance), et le tout aussi mystérieux Mark IV qui voudrait s’en emparer pour des raisons bien moins louables.
Il devait repartir à sa recherche pour trouver, peut-être, le sens de la vie et de sa vie. Il devait aller de l’avant avant que la mort, inéluctable après un instant ou un demi-siècle, ne rende vide de sens tout sens possible. Elias répondait ainsi à l’élan prométhéen qui le poussait de l’avant, au-delà de cette condition d’hébétude qui le retenait, masquant sa conscience et annihilant sa volonté.
Nous n’avons nulle envie de dévoiler l’intrigue tant elle est passionnante, tout en symbole et en paraboles subtiles servies par un style remarquable. En revêtant le masque de Dieu, Elias permet le regard de l’égal à l’égal. Nous portons tous en nous le plus profond et le plus grands mystères. “Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage”. Ce n’est pas au vers de Joachim du Bellay que nous pensons en refermant cet ouvrage à nos yeux bien trop court, mais c’est à l’inscription au fronton du “Temple des mystères” sur lequel sont gravés deux mots qui donnent le frisson des choses inconnues : SCIRE NEFAS. Il est néfaste de savoir…
Un masque, contrairement à ce qu’on croirait de bonne foi, pourrait-il être notre miroir plutôt que notre dissimulation ? Dans ce roman, Elias, qu’on peut nommer, pour plusieurs raisons légitimes, de roman des allégories, Ahmed Benzelikha construit un personnage central. Elias, dont le nom est aussi le titre du roman, ouvre cette fiction, par les portes d’une première métaphore, celle de l’hébétude. Hébétude d’une vie qui pèse au-delà du supportable sur les épaules d’Elias et le mène aux confins d’une frontière abstraite mais anxiogène, une frontière métaphysique. Le besoin du sens du monde, le besoin de savoir mais aussi la question : peut-on savoir dans le sens du Savoir total métaphysique ? – tout cela forme le ressort de ses lectures et leurs résultats.
Elias comme dans les légendes ou les sources poétiques de l’histoire de la Méditerranée prendra le bateau, pour aller chercher un masque dont il est dit dans de vieux livres – et confirmé dans l’un d’eux en particulier lié aux ruines d’un site historique – qu’il est le masque de Dieu, au sens qu’il appartient à Dieu ou qu’il est le masque de la Vérité.
Les noms des personnages rappellent quelques grandes figures de l’Odyssée, nous lient aussi à des événements marquants des tragédies qui secouèrent les Balkans et leur rapport avec la Grèce. Ils nous mènent aussi par paraboles. emboîtées en poupées russes, aux nouvelles « réalités » de la communication planétaire via la puissance Internet et via la puissance qu’elle peut conférer à des personnages maléfiques comme Mark IV, pirate informatique et pirate des mers, ou à son associé et complice le Docteur Morfal, érudit et président du conseil d’administration d’une surpuissante multinationale. Représentation. aussi et représentation. réussie que les multinationales sont en majorité une forme de spoliation du travail par la violence de Mark IV, de sa ruse, de ses moyens de tromperie.
Le commandant Bramble, capitaine du bateauLe Moïse dont le nom nous ramène explicitement à une métaphore biblique est un mixage de la Méditerranée, maltais mais surtout grec, et certainement autre chose, et féru de Montaigne et de poésie ; son second, Mihel, qui a longtemps navigué dans les eaux américaines et en est sorti en ramenant la panoplie de tous les vices ; le cuisinier hindou sans nom mais qui sait des choses sur le masque que cherchent Elias et Mark IV, pour des raisons aussi diamétralement opposées que le Bien et le Mal – tous ces marins issus de différents pays nous renvoient cette image cosmopolite de la marine marchande actuelle mais certainement tout aussi vraie pour la marine antique et la diversité d’origine de ses marins ou de ses rameurs.
Le roman est, en soi, comme un miroir de l’Odyssée réécrite au 21èmesiècle.
Roman des paraboles, Elias est aussi un roman de l’exploration de la manipulation.
La force de Mark IV et celle du docteur Morfal n’est pas dans la puissance prêtée à la maîtrise informatique. Celle-ci joue un rôle primordial dans la conduite des opérations concrètes mais la base de la collecte des « savoirs » sur les autres est en réalité la corruption : l’argent coulant des mains de Mark IV à Mihel le borgne. Cette manipulation se dévoile au grand jour grâce à Theodoros, marin qui a sauvé Elias de la mort, et dont l’île est contrôlée et les marins exploités par mensonges et réécriture de l’histoire de la part d’un criminel de guerre d’un pays des Balkans recyclé armateur, négociant, propriétaire foncier, etc.
Vers la fin du roman, en filigrane des légendes et des allégories apparaît de plus en plus clairement que derrière les constructions de fausses puissances « informatiques » de Mark IV et de Morfal et de leurs vrais mensonges se joue une lutte planétaire pour le contrôle des routes commerciales et des zones à hautes richesses et rentabilité comme le Golfe de Guinée.
La beauté de ce roman n’est pas seulement cette ouverture du voyage d’Elias sur les grimoires du temps passé et ce qu’ils nous rappellent des questions fondamentales du sens de la vie.
Cette beauté se dévoile également dans la réussite de cette modernisation de l’idée d’une odyssée humaine dont les sirènes maléfiques ont pour nom docteur Morfal et Mark IV que les services secrets chinois liquideront.
Symbolique aussi que la découverte, par Elias, du masque dans ses affaires où l’aurait mis le vieil ermite d’une île grecque désolée et aride, et dont meurt Elias pour l’avoir porté et s’être élevé aux cimes vertigineuses du savoir ?
Mais de quel savoir, alors qu’il meurt en ignorant les autres facettes des Morfal, des Mark IV, de la vengeance des services secrets chinois ?
LORSQUE LE PERSONNAGE D'ELIAS S'ABREUVE A
LA FONTAINE DE SIDI HASSAN SUR UN AIR DE MALOUF
par Abdelhakim Meziani
Une magnifique rencontre littéraire que celle abritée par la Librairie Media Book de l'Enag. Un public en or quelque peu transporté par l'imaginaire d'un auteur qui, tout en faisant preuve d'une tolérance et d'une ouverture insondables, n'en reste pas moins convaincu de la justesse de son intention. Celle qui consiste à souligner que tous les problèmes inhérents à une société donnée trouvent leur explication dans la manière de se transcender et d'interpeller les fondements de sa personnalité. Surtout lorsque le socle de celle-ci est porté par ce berceau de plusieurs civilisations fondatrices, la Mer Méditerranée pour ne pas la désigner.L'auteur Ahmed Benzelikha excelle dans la manière de transcender objectivement les choses et de transmettre son argumentaire. Non sans ancrage andalou et avec quelques fragments suscités le plus souvent par le patrimoine cher au grand maître du malouf constantinois, je veux parler de cheikh Abdelkrim Bestandji. Pour ce linguiste qui sait aussi compter et conter, l'Agora du livre a été un merveilleux terrain de prédilection pour son talent d'orateur attentionné, ouvert et nourri de toutes les odyssées qu'elles soient imaginaires ou en relation avec les acquis religieux de l’Humanité. D'où cette lecture non sans magie qui réconcilie le lecteur avec sa muse ey qui donne la merveilleuse sensation de déjà vu et/ou de vécu. Ahmed Benzelikha est un auteur à lire et à découvrir. Nous devons cette approche emprunte d'imaginaire, de magie et d'humanisme au professionnalisme de Casbah Editions qui investit le champ éditorial national de fort belle manière, et chaque jour davantage.
A. M.
Vivre ensemble avec la pandémie : Les propositions d'Ahmed Benzelikha. Des gens meilleurs. Un monde meilleur.
Ahmed Benzelikha est écrivain et journaliste, linguiste et financier. Membre de l'UNESCO. Président du Comité National Mémoire du monde et ancien Vice-président du Programme international pour le développement de la Communication PIDC UNESCO.
Reporters : Vous avez participé récemment (fin novembre) à la 40e Session de la Conférence générale de l’Unesco, qui s’est déroulée à Paris, et au courant de laquelle les Etats membres ont mandaté l’organisation pour travailler à l’élaboration de normes d’éthiques en matière d’Intelligence artificielle. Concrètement, qu’apportera cette décision ? Ahmed Benzelikha : Cette initiative intervient à l’issue d’un processus qui a duré assez longtemps. Il y a eu ainsi plusieurs rencontres et évènements organisés par l’Unesco autour des problématiques ayant trait à l’Intelligence artificielle. C’est la somme de l’ensemble de ces actions et des pistes de réflexion qui se sont dégagées qui ont permis à la directrice générale de l’Unesco, d’abord, de faire un discours d’orientation autour des valeurs éthiques de l’intelligence artificielle, mais aussi de demander à la Conférence générale de confier ce mandat à l’Unesco, et je pense que c’est une excellente chose que de le faire avec une organisation multilatérale. Donner ce mandat à l’Unesco, c’est aussi donner un blanc-seing à la réflexion culturelle et scientifique, sur un aspect qui est aujourd’hui au centre des préoccupations d’avenir, en l’occurrence l’Intelligence artificielle.
D’ailleurs c’était le sujet de votre conférence animée samedi dernier à Alger. Où on est-on finalement en Algérie ? En toute modestie, nous avons été précurseurs dans le pays. Nous avions déjà, en décembre 2018, ici même à Alger, abordé les aspects éthiques de l’intelligence artificielle dans le cadre des villes intelligentes, ou ce qu’on nomme communément « Smart City ». Donc, nous sommes un peu sur la même lancée. Unesco-Algérie est au fait de la réflexion. Il y a aussi d’autres initiatives. Récemment, il y a eu à Constantine une rencontre, organisée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, autour de l’intelligence artificielle. Donc, on voit bien que, même si ce n’est encore que des prémices, la préoccupation est présente et les initiatives sont prises. Maintenant, il reste la concrétisation.
Concrétiser certes, mais avec qui ? Je suis quelqu’un qui croit d’abord à l’initiative sociale, donc je dirai avec la société civile, avec les gens qui veulent réfléchir à ces thématiques ô combien importantes, mais aussi avec les structures officielles. Je pense en particulier aux structures de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de l’Education, les entités qui encadrent les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication, ndlr), des médias, les scientifiques de tous bords, les laboratoires de recherche, les sociologues…
Donc, avec tout le monde… Oui, parce que l’informatique touche tout le monde et donc on se doit d’être attentif. S’il y a un mandat confié à l’Unesco, s’il y a un débat initié, ça veut dire que quelque part des décisions vont être prises.
Et évidemment, l’Algérie ne pourra pas être épargnée par l’impact de ces décisions… Pas seulement en termes d’impact, mais de choix premiers. Mon souhait en tant qu’Algérien est que l’Algérie soit présente et propose un peu sa vision des choses et sa réflexion, parce que nous vivons dans un monde qui est aujourd’hui complètement mondialisé et complémentaire, dans lequel les absents ont toujours tort. Le savoir-faire n’est pas seulement l’informatique, au sens de science pure, mais aussi d’utilisateurs et d’intellectuels. En tant qu’intellectuels et intervenants dans le cadre des débats qui engagent l’humanité, il faut avoir notre mot à dire.
L’occasion pour le pays de ne plus être spectateur, mais acteur… Absolument. Etre acteur, c’est avoir des idées novatrices, avoir des visions pour l’avenir du monde d’aujourd’hui, c’est aussi cette capacité de réunir les gens autour de valeurs de discours porteurs, généreux mais réalistes. C’est les enjeux du débat qui est en train de prendre forme au niveau de l’Unesco et qui a déjà pris forme au niveau international. Je ne voudrai pas que ce débat puisse encore une fois, comme dans le terrain économique, être un débat de puissances mondiales, en l’occurrence les Etats-Unis et la Chine, qui aujourd’hui, justement, dominent l’Intelligence artificielle.
Ce qui nous amène à évoquer la grande concurrence dans l’IA entre les géants numériques américains, les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et leurs homologues chinois, les BATX (Baidu, Alibaba Tencent et Xiaomi). Leurs puissances donnent encore plus d’ampleur à l’urgence des valeurs d’éthiques dans tout ce qui touche à l’IA. Un état des lieux qui semble être négligé en Algérie, comme si le pays n’était pas concerné. Qu’en pensez-vous ? Nous avons un peu cette impression de vivre dans une bulle, alors qu’aujourd’hui, il n’est pas possible de continuer de cette manière. Devant les grandes entités économico-informatiques qui sont en train de faire mainmise sur l’ensemble du monde, et quelque part nous subissons toutes les décisions et tous choix premiers, pris par le Conseil d’administration de telle ou telle entité.
Les GAFA sont-ils un danger pour nous ? Je préfère ne pas parler de danger et aller au-delà de cette atmosphère de paranoïa. C’est quelque chose de tout à fait normal, dans la guerre économique d’aujourd’hui que de vouloir prendre le dessus.
Donc, c’est à nous de nous armer ? Je n’utiliserai pas un vocabulaire guerrier, mais je dirai de faire des propositions, de nous positionner. Nous sommes dans une grande partie de jeux d’échecs…
Et nous sommes encore dans une position de spectateur et non de joueur… Malheureusement oui, mais rien ne nous empêche de vouloir jouer dans la cour des grands. Dans les jeux d’échecs, parfois les spectateurs ont des idées beaucoup plus intéressantes que celles des joueurs eux-mêmes. Donc, voilà la « faille ». Nous sommes sur le terrain de l’intelligence et, en attirant les adversaires, bien sûr en toute amabilité, nous nous retrouvons, quelque part, et en utilisant votre terme, à armes égales. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle, même si nous sommes en train d’être dépassés en termes de machines, nous avons néanmoins notre propre intelligence, si, bien sûr, nous avions l’occasion de la sublimer ensemble, en tant que société, Etat, intervenants…
Lors des trois premières révolutions industrielles, l’Algérie était sous domination turque et sous le colonialisme français. La quatrième, celle du numérique, le pays est indépendant et aborde cette époque avec un Etat. N’est-ce pas une opportunité à saisir ? Absolument. Nous devons aller vers deux urgences. D’abord, combler, si je puis dire, un tant soit peu ce grand fossé numérique qui est établi entre les pays du Nord et ceux du Sud. C’est une urgence. Mais nous n’allons pas attendre jusqu’à ce que cette faille soit comblée. En parallèle, agissons avec ce que nous disposons, avec l’Unesco dont on est membre à part entière. Voilà un terrain où nous pouvons nous exprimer, proposer et jouer avec l’ensemble du monde en abattant nos propres cartes.
Il n’est pas trop tard ? Il n’est jamais trop tard. Vous savez, il y a un penseur italien du 19e siècle, Antonio Gramsci pour ne pas le nommer, qui disait « il faut opposer au pessimisme de la raison l’optimisme de la volonté». Tout est une question de volonté.
Ahmed BENZELIKHA développe les enjeux de l'intelligence artificielle #IA dans une conférence internationale
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait François Rabelais il y a près de cinq siècles. Un « avertissement » d’une actualité criante avec la prolifération des machines et la quatrième révolution industrielle qu’est celle du numérique. Cette dernière possède plusieurs « visages » et le plus perceptible reste l’IA, l’intelligence artificielle, qui est loin d’être restreinte à son aspect technique. Son expansion suscite de nouvelles peurs de par le monde et, évidemment, l’Algérie ne peut en être épargnée.
Une «science sans conscience», c’est ainsi une IA sans éthique. Une situation partout appréhendée et qui a enclenché plusieurs actions et réactions. En Algérie, l’étape est encore au stade des balbutiements, mais la «résistance» s’organise. Des lanceurs d’alertes, certes rares, montent au créneau dans l’espoir d’éclairer et de mettre en avant l’importance de l’éthique dans le monde de l’Intelligence artificielle.
Plan anti «Big Brother»
L’un d’eux est Ahmed Benzelikha, président du comité communication et information à l’Unesco-Algérie. Dans une conférence animée samedi dernier au siège de la Commission nationale de l’organisation onusienne à laquelle il appartient, cet expert en Digital a abordé le sujet des valeurs éthiques et de l’intelligence artificielle. L’occasion pour lui de s’étaler sur la face cachée… La manipulation ne date pas d’aujourd’hui. Ahmed Benzelikha le rappelle en prenant comme exemple une arnaque qui remonte à la fin du 18e siècle. Il avait fait référence au fameux turc mécanique, où un automate était présenté comme joueur imbattable, ou presque, en jeux d’échecs, alors que la vérité, dévoilée près d’un siècle après, était bien autre. L’arnaque consistait en la «présence» d’un compartiment secret dans lequel un joueur humain se glissait, sans être «visible», et pouvait ainsi manipuler le mannequin. Le turc mécanique est finalement toujours d’actualité avec tout ce qui se passe en ce 21e siècle. «Aujourd’hui, on est un peu dans la même situation», affirme ainsi Ahmed Benzelikha. Il prendra comme exemple le réseau social, Facebook, «une entreprise derrière laquelle il y a des personnes qui perçoivent des algorithmes». Une entité parmi le quatuor des géants numériques américains du GAFA (les trois autres étant Google, Amazon et Apple) dont le pouvoir, à l’échelle planétaire, devient de plus en plus puissant. D’ailleurs, dans ce monde digital, la concurrence est très rude. Face aux multinationales occidentales, l’Est n’est pas resté les bras croisés. La Chine conquérante s’est dotée de ses propres armes avec ces géants numériques, représentés par le BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Des conglomérats qui «contrôlent et savent ce que nous faisons», mentionne le conférencier. Il n’omettra pas de convoquer des «références» pour décrire les nouvelles données apportées par la révolution numérique en cours. A la formule bien connue de Descartes «Je pense donc je suis», le responsable de l’Unesco-Algérie l’«actualise» par une autre expression «je suis fiché par un ordinateur, donc je suis». Que faire face à ces puissances ? Que faire devant le danger de se retrouver devant des machines programmées à s’autoprogrammer ? Ahmed Benzelikha préconise une défense par l’éthique, en insistant sur «les valeurs humanistes». Selon lui, c’est le meilleur moyen de «dépasser les clivages et la seule manière de pouvoir vivre ensemble». Pour cela, il faut prendre l’intelligence artificielle comme «une opportunité» à prendre en main et ainsi éviter de se retrouver plongé dans le monde non-féérique de «Big Brother», si cher à Georges Orwell, ou encore aux dimensions hyperboliques de Isaac Asimov. Promouvoir l’éthique à tous les niveaux, et essentiellement au sein de la société, est, pour le représentant de l’Unesco-Algérie, «primordial et vital».
Lors de sa conférence il en a abordé plusieurs aspects. L’un d’eux lui tenait à cœur, et qui n’avait rien de «technique». Il s’agit du côté spirituel, omis et négligé, mais dont l’impact, selon Ahmed Benzelikha, ne pourra qu’être concret. Sa «plaidoirie», sur ce sujet, il l’a intitulé comme une «valeur suprême» présentée comme «un modèle pour les humains» qui pourra faire annihiler les méfaits multicéphales de l’Intelligence artificielle. L’angle n’est d’ailleurs pas étranger à Ahmed Benzelikha, qui est également un écrivain, puisqu’il l’a également abordé dans son dernier roman «Elias», où spiritualité et «monde moderne» sont confrontés à travers les turpitudes du personnage principal.
Timides initiatives
Les effets et l’impact de l’IA ont été également au centre d’autres initiatives, privées ou «officielles», lancées en Algérie. Peu nombreuses il faut le préciser, mais à encourager tout de même. Entre autres, il y a l’événement «MeetUp» dédié à l’Intelligence artificielle et organisé en février dernier au Théâtre national algérien (TNA). Etaient présents surtout l’Algéro-français Idriss Aberkane, le spécialiste des neurosciences appliquées et dont l’intitulé de la conférence était «L’intelligence artificielle est-elle supérieure à l’intelligence humaine ?».
Côté officiel, il est à noter l’annonce, il y a quelques jours, par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique des préparatifs, par son département, pour la mise en place d’une «stratégie nationale d’intelligence artificielle afin de relever les défis imposés par le développement durable, à la lumière des transformations numériques en cours». Juste un effet d’annonce ? La question ne peut que s’imposer devant les multiples promesses et «projets» lancés par les institutions étatiques et qui sont restés sans effet.
Ne dit-on pas que la vie est un voyage ? Chaque être humain entreprend son propre périple, qu’il soit intérieur ou à travers le monde qui l’entoure.
Le voyage est également l’un des inspirateurs de grandes œuvres littéraires. Fictions ou récits véridiques, la littérature du voyage offre aux lecteurs l’occasion de découvrir d’autres contrées et d’autres peuples et parfois se découvrir lui-même. Tel était le thème de la rencontre hebdomadaire des éditions Enag, «Agora du livre», qui a reçu, mardi dernier, l’écrivain Ahmed Benzelikha pour la présentation de son dernier roman, «Elias», édité chez Casbah Editions. L’auteur affirme que son personnage, Elias, est un voyageur comme nous tous qui voyageons dans notre existence, de notre naissance à notre mort. Elias, ajoute-t-il, est inspiré du héros de l’Odyssée, Ulysse. Mon roman, ajoute l’auteur, est basé sur l’idée même du voyage, qui est propre à toutes les cultures. Se référant à l’islam, Benzelikha déclare que l’idée du voyage nous la retrouvons dans l’«Isra wa Al Miraj» du Prophète Mohamed, tel que nous la retrouvons dans la sourate «Al Kahf». Dans ce verset, Benzelikha relève qu’il s’agit également de voyage. Ahl Al Kahf, dit-il, qu’on retrouve dans la littérature occidentale du nom des Sept dormeurs, effectuent un voyage temporel en s’isolant de leur société. Un voyage symbolique et mental. Pour l’Occident, déclare Benzelikha, le voyage d’Ulysse dans l’Odyssée d’Homère reste fondateur. Il représente le voyage initiatique et de résistance de la part de l’être humain. Elias est donc l’Odyssée revisitée pour, d’abord, réconcilier l’Orient et l’Occident, car, dit-il, dans ce livre on retrouve des références à l’Odyssée comme on retrouve des références au Coran. Elias n’est pas un récit fantastique au sens propre du terme, c’est un récit romanesque qui revisite plusieurs stations du patrimoine culturel universel. D’autres similitudes avec l’Odyssée sont révélées par l’auteur, notamment la présence d’un cyclope, mais un cyclope d’esprit. Un personnage qui ne conçoit pas d’autre raisonnement que le sien. «Nous avons tous cet œil unique mais les plus intolérants de nous n’ont que cet œil unique», déclare Benzelikha. On retrouvera également des sirènes, on retrouvera une calypso. «Elias» est également une quête de vérité à travers la recherche d’un masque d’or qui donne la connaissance suprême à qui le portera. Benzelikha déclare qu’«Elias» se lit tel un roman, mais il renvoie à beaucoup de références dans le Coran, la mythologie grecque et la littérature universelle. Ahmed Benzelikha est également l’auteur de plusieurs autres romans tel que «La fontaine de Sidi-Hassen» (édition Casbah). Un récit imaginaire situé à Alger, en 1830, quelques mois avant l’invasion française, dans lequel débarque un peintre espagnol, «Delbrezcque». Ce roman est également un récit d’aventure à travers lequel l’auteur traduit son amour pour la peinture et l’art. Un roman qui s’inscrit dans l’universalité puisqu’il met en scène trois personnages : un chrétien, un musulman et un juif. Benzelikha est aussi auteur du roman «La roqia de Cervantès», d’essais : «Presse algérienne : éditoriaux et démocratie», «L’air du temps», et d’un recueil de poésie : «L’esquif des mots». Natif de Constantine, il est linguiste, financier et spécialiste en communication, diplômé des universités de Constantine et Montpellier. Il a occupé plusieurs hautes fonctions, tel que président du comité «Mémoires du monde» de l’Unesco. Il est également chroniqueur dans divers journaux tels qu’El-Watan, le Quotidien d’Oran et la revue Afrique-Asie.
Il y a eu ce mardi, à l’Agora du livre, l’image bleuie d’un livre où s’exhale l’harmonieux air d’“un bel été qui ne craint pas l'automne, en Méditerranée” de feu Georges Moustaki (1934-2013). Et à y voir de près, l’image de l’œuvre Elias du journaliste Ahmed Benzelikha (éditions Casbah), celle-ci reflète tantôt la basilique de Notre-Dame d’Afrique à Bologhine (Alger), tantôt l’image d’Ésope et de la fable à l’époque hellénistique.
De ce fait, l’auditoire de la librairie Media Book de l’Enag a retrouvé son âme “d’enfant aux yeux noirs” et s’est mis à rêver de son bassin ou plutôt de ce berceau où “il jouait lorsqu’il était enfant”. Et à ce propos, l’invité du jour exhibe de sa mémoire d’enfant, le rivage de Tamanart de la presqu’île d'El-Djarda à Collo où il jouait lui aussi dans ce site si riche “des siècles d’histoires, des prophètes, des dieux mais aussi des civilisations”.
Si tant qu’à l’autre bout de l’image, il y a aussi l’horizon du grand large où se côtoient l’évasion mais aussi l’aventure. Alors, et pour y mettre le pied à l’étrier de l’aventure, il suffit pour Elias d’embarquer à bord d’un cargo piloté par un timonier que l’on imagine sorti d’un épisode de Corto Maltese, cet aventurier des mers né lui aussi de l’imaginaire d’Ugo Eugenio Prat dit Hugo Pratt (1927-1995).
Seulement, Elias est aussi l’Ulysse de la contemporanéité et qui a le sens du détail référentiel qu’il a préalablement inscrit sur sa carte maritime, dont le premier référent se rattache à l’escale d’“Ahl El-Kahf” ou (les sept dormants d’Éphèse ou Les gens de la caverne) selon la sourate 18 “La Caverne” et récitée des versets 9 à 26, a déclaré l’orateur.
Du reste Elias incarne également “l’Isra et Mêradj” ou l’ascension en voyage nocturne du Prophète Mohammed (QSSSL) à dos de boraq et en compagnie de l’ange Jibril (Gabriel), a-t-on su de l’auteur de La fontaine de Sidi Hassan (éditions Casbah). Et au chapitre sur le dialogue des civilisations, Ahmed Benzelikha mande Elias en sa qualité de plénipotentiaire sur l’échiquier de la réconciliation entre l’Orient et l’Occident avec l'analyse de Omar et l'Occident (2009).
Donc, autant se référer à la minute de poésie et dire : “Heureux qui comme Elias a fait un beau voyage” au cœur de la photo de couverture du roman qui évoque la toile Dans l'azur bleu (1918) de l’artiste peintre russe Arkadi Rylov (1870-1939). “Heureux qui comme Elias” a cédé à L’appel du large compilé dans le recueil de poèmes Les Regrets de Joachim Du Bellay (1522-1560). “Elias évoque le voyage à dos des flots avec sur sa carte maritime un flot d’énigmes qu’il incombe au lecteur de dénouer”, a ajouté le linguiste et auteur du manifeste Pour une nouvelle intellectualité (1989).
Et depuis, Elias a levé la voile sous le soleil d’été qui poudroie la grande bleue et qui câline le hâle d’Elias. “Un été qu’il a fait sien, puisqu’il a l’attrait de la pulpeuse fraise panachée à l’eau de mer qui perle à ses lèvres. Il vogue ainsi en mordillant à belles dents dans l’inconnu et chevauche le temps qui s’ouvre dans l’opulente étendue au bleu azur”, poétise l’auteur à la page 9.
Autre énigme, l’œil du cyclope qui ose le regard unique qui est source de l’intolérance et du rejet de l’autre, a conclu l’auteur du roman La Roqya de Cervantès (éditions Alpha 2016). Mais on n’en dira pas plus pour ce qui est d’Elias, qu’il est loisible de lire pour aller à la rencontre du masque de la vérité et de renouer avec l’action et l’aventure de notre tendre jeunesse. À noter que l’après-midi littéraire a été modéré par notre confrère Abdelhakim Meziani.
L. N.
in LIBERTE du 12 mars 2020
Elias d’Ahmed Benzelikha (éditions Casbah,
2019), 87 pages, prix 500 DA