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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 19:13

CONSTANTINE, CES PONTS LA  !

Par Ahmed BENZELIKHA

http://www.constantine.free.fr/LaVille/lesponts.htm

Surpris de me retrouver ? M'auriez vous fait partir au diable vauvert ? Pourtant, depuis le temps que vous me connaissez, vous devriez être au fait de mes habitudes. 

Je prends toujours des vacances en été, pour revenir sitôt les premières pluies de l'automne. Je vais même vous surprendre en vous apprenant qu'autrefois, je ne prenais jamais de repos. Je m'ébaudissais alors de voir s'ébattre les embarcations ici même. Je vous devine incrédules et cela m'offense. Si vous ne me croyez pas, peut-être ajouteriez-vous foi, à ce qu'a relaté un des vôtres, un certain El Bekri. Mais, passons, à mon age on sait être indulgent à l'égard de la jeunesse et de ses travers.  

Si je comprends bien, vous souhaiteriez que je vous parle des ponts de celle-la, là haut, Constantine. Ah ! Ces ponts ! Ne vous en aurait-on pas assez rebattus les oreilles ? « Ponts-ci, pont là », les ciceroni n'ont que cela à la bouche !

Décidément je ne comprendrais jamais les hommes, qui au lieu de s'attacher à la pérennité, ne s'occupent que de l'éphémère. Car qu'est ce qu'un pont ? Sinon un précaire passage, par-dessus une contrariété ; Es qu'est ce que cela devant le temps ?  

Ce dernier ne m'est point inconnu, pour l'avoir pour compagnon depuis, excusez du barbarisme, le néo-pléistocène et ce rien qu'en ces lieux, qu'il m'est fort aise de voir vous plaire. Ne croyez surtout pas que je sois jaloux, disposerais-je de raisons suffisantes, pour l'être, que je ne le pourrais point. J'étais ici avant les ponts, je serai encore là après eux. Ils peuvent bien aujourd'hui me dominer du haut de leur superbe, oublient-ils que c'est grâce à moi, qu'occasion leur est offerte d'exister ? L'abîme de leur contingence, j'en suis le maître d'ouvre !  

Enfin, à votre guise, qu'il ne soit pas dit qu'on essuie rebuffade de mon fait. Mais vous me le permettrez et pour ne point nous égarer, je ne m'en tiendrais qu'aux ponts contemporains.  

Il y a d'abord l'aîné, le bourgeois, bien établi et imbu de son importance, le pont d'El-Kantara, vous me passerez ce bilingue pléonasme, emprunté à vos usages idiomatiques. Ce pont, en vertu du droit d'aînesse a disposé de l'héritage de ses deux aïeux, le romain et le turc. Je sais que tout cela fait très « cosmopolitain », comme on disait avant, mais que voulez-vous, on ne choisit pas ses ancêtres, pas plus que ses ponts d'ailleurs. Son aïeul romain, devait être né aux premiers siècles de l'ère chrétienne. Quant au turc, il vécut entre 1792 (voyant le jour sous Salah-Bey, celui-là même que pleure la belle chanson) et 1857, à cette date il périt, écrasé de chagrin et par un régiment d'infanterie d'une armée arrivée dans la contrée vers 1837.  

Ici, laissez-moi vous confier, en farcissure de mon propos, pour emprunter aux Pensées de Montaigne, que si j'ai pu connaître beaucoup de gens, depuis les temps immémoriaux ou, si vous préférez, depuis le néolithique, je ne me suis attaché qu'aux enfants du pays et, dès lors, qu'ils ont adopté le croissant comme étendard, dusse t-il être le Pendon de Las Navas, il a été mien aussi.  

C'est vous dire, que je n'ai pas du tout apprécié ces soldats venus du Nord, me toisant, me trouvant trop modeste à leur goût, ils osaient même des comparaison à mon désavantage !  

Mais revenons au pont d'El-Kantara, long de 127,5 mètres , large de 13, s'élevant à 125, il est né en 1863. Je ne l'aime pas ce pont, d'abord il est trop arrogant, ensuite il me fait ombrage, juste au moment où je me prépare à rencontrer les voûtes de travertin, que vous voyez là, des amies de longue date.

Vous me concéderez, qu'en la circonstance, j'ai besoin de la lumière, pour être à mon avantage et non d'un voyeur. Oui, car derrière la respectabilité à barbichette de ce pont d'El-Kantara (grasseyement prononcé), se cachent les moeurs les plus dissolues. Le gredin, comme tous ceux de son espèce, adore s'encanailler. Allez, allez donc voir, côté gare, toutes ces bouteilles vides de mauvais vin. Si ce n'est pas malheureux, ça se dit noble - en fait, il acheté son titre sous le second empire - et ça se saoule à la piquette.  

Ce n'est point comme Sidi-Rached, un pont solide, sain, qui ne rechigne nullement à la tache, plein de gouaille, adopté par le populaire, mascotte du vieux club sportif de la cité, le C.S.C. Le pont de Sidi-Rached est né en 1912, c'est un viaduc impressionnant, qui compte vingt-sept arches, dont l'une de 70 mètres , enjambe allègrement le vide. Pour une longueur de 447 mètres , il est large de 12. Il a ses racines plantées dans la vieille ville, près du sépulcre de son saint patron Sidi-Rached, dont a il toujours mérité du nom et de la bénédiction. Ce n'est pas comme ce «  m'tourni  » d'El-Kantara, qui aurait préféré, j'en pouffe, s'appeler Napoléon III.  

Et puis. il y a Dieudonné, fin et racé. Le pont suspendu. Beau et élégant, c'est un séducteur né. Depuis 1912, il éblouit tous ceux qui l'approchent. Sa silhouette avantageuse se profile idéalement sur l'azur, tel « un prince des nuées », qui jamais ne toucha sol. On ne lui reproche qu'une expression  malheureuse : « je ne me permettrai jamais de frayer avec la populace », dont il aura fait une règle de vie. Mais, que voulez-vous, on ne lui en tient pas rigueur, nous autres roturiers, sommes toujours fascinés par l'éclat de l'aristocratie. Et puis.il est si haut à 175 mètres ! Quand on traverse ses 160 mètres, on ne le fait que respectueusement, craintivement, subrepticement.tant son port altier en impose.  

Enfin, il y a le plus jeune, né en 1925, appelé communément pont de l'Ascenseur, qui n'a jamais voulu grandir, jamais voulu être comme les autres. Fragile et marginal, on ne l'emprunt qu'à pied. Poète, il est d'un romantisme exacerbé. Passionné, il est parfois violent. Il faut l'avoir vu trembler comme feuille les jours de désespoir, quand le vent hurle à la mort. Tour à tour joyeux ou mélancolique, il est imprévisible. . On ne m'enlèvera pas de la tête que ce petiot est amoureux ! Filiforme, il suspend ses 125 mètres sur une hauteur de 116.  

Voilà donc les ponts de Constantine, auxquels il vous faudrait adjoindre le petit pont du gué des troupeaux, dont je n'aime pas ( vade retro   ! ) le nom français, et celui des Chutes, où comme son nom l'indique, je chute. J'en profite pour rendre hommage à celle de Camus, bien que je ne sois ni juge ni pénitent et à celui-là d'un plat pays qui n'est pas le mien, bien qu'on fasse tous celui là qu'on attend quelque part, mais qu'on n'attend pas.  

Mes éparses impressions, auront répondu, un tant soit peu, j'ose l'espère, à votre attente. Vous daignerez m'excuser maintenant, car à l'approche de l'hiver, moult taches m'attendent. Je dois vous quitter et croyez que tout le plaisir a été pour moi. N'oubliez surtout pas de témoigner de ma bonne santé, le vieux RHUMMEL n'est pas prêt de devenir gâteux !

 

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