D'abord j'aime la mer, ensuite j'aime Alger, qui est d'abord pour moi une ville de mer,
quand je pense à elle, c'est d'abord des cris de mouette qui
raisonnent,
jusqu'à ces ilots dont elle perpétue le nom,
enfin j'aime le ciel et celui d'Alger est immense
et semble venir aimer la mer en cette couche d'amants qu'est la baie de celle-ci.
Marquet a peint nombre de ports et a repris celui d'Alger sur différentes toiles.
Cette approche est intéressante, à découvrir en un seul sujet plusieurs, même(s) et autre(s),
quand on aime le temps qui passe ou qui tourne, les couleurs changeantes,
les lumières qui se conjuguent aux saisons,
les tons et les humeurs,
bref, à découvrir le mouvement de la vie
et ce port, décliné en suite, en est tout représentatif.
J'ai été à Bordj-El-Kiffan. La petite ville est complètement déstructurée, par le(s) chantier(s)d'installation d'un tramway qui facilitera les déplacements. Tout lieu a une sémantique, celle-ci est bien brouillée pour Bordj-El-Kiffan. C'est aussi une sémantique éclatée. Par pans. A voir les anciens édifices, on devine un mode d'organisation, à travers l'imbrication des rues du centre, la végétation, arbres, plantes grimpantes, pots, qui semblent prolonger les maisons sur les trottoirs. La ville coloniale fut, dit-on, fondée par des Mahonnais. Il est vrai qu'on y retrouve, subrepticement, un peu de l'Espagne. A un moment j'ai aperçu, venant du centre-ville, près de la mosquée qui fait angle, la mer. Un trait bleu. Je ne pouvais y résister. Quelques pas encore, en ce matin frais mais beau. Des escaliers et puis, simplement, le bord de l'eau. A gauche le vieux fort ottoman, au-delà Alger, à gauche une succession de criques, toutes envahies par les constructions. Au loin une barque de pêcheur blanche sur les flots écumeux. Les mouettes tournoient en criant. Le matin est froid, beau mais un peu triste, les vagues meurent aux pieds des rochers gris.
La ville de Ronda, en Andalousie et qui fut un important centre urbain musulman, possède une ressemblance frappante avec Constantine. Qu'on en juge, à travers ces quelques photos :
JIJEL
Ain Mchaki,
la fontaine miraculeuse
Abou Obeid El Bekri, géographe et grand voyageur andalou du onzième siècle, écrit dans la partie consacrée à l’Afrique du Nord de son ouvrage intitulé « El Massalek Oua El Mamelek » : « Le port de Sebiba (El Mansouriya), qui vient après celui de Bejaia, est dominé par les montagnes des Ketama ; Ain El Aoucat, située au milieu de ces montagnes, est bien connue, quand chaque heure de la prière arrive, les eaux commencent à couler, et quand la prière est terminée elles s’arrêtent tout à fait »1.
Aujourd'hui les montagnes des Ketama surplombent désormais la dynamique wilaya de Jijel, où le port de Djendjen, l'aéroport Ferhat Abbas et les nouvelles infrastructures routières et ferroviaires sont garants d’un essor économique promotteur, mais où, aussi, la nature conserve tout son attrait touristique, Mer et montagne offrent aux visiteurs une palette de sites féeriques.
Mais ces visiteurs oublieront souvent que la région possède un passé et ne s’intéresseront que peu aux us et coutumes et ses habitants, dont il ne retiendront que la pruderie à l’occasion des remarques qu’on leur fera sur le « négligé » d’une tenue vestimentaire.
Ce passé n’est pas seulement cette suite d’événements consignée dans les livres d’histoire, mais aussi une vie quotidienne rythmée par les croyances religieuses et les pratiques populaires qui en revêtent l’apparence. Parmi ces pratiques, celles s’appuyant sur la nature « miraculeuse » d’une fontaine appelée Ain Mchaki, subsistent jusqu’à aujourd’hui.
Ain Mchaki porte son nom suite aux innombrables visites qu’elle a reçues de la part de gens se plaignant des multiples maux que la vie souvent réserve. Ces gens sollicitaient en cette endroit « béni » la miséricorde du Seigneur.
De même que cette fontaine aurait aussi servi à départager les plaignants, à exprimer le jugement du Ciel en "prouvant" ou l'innocence ou la culpabilité d’un accusé, enfin à montrer l’assentiment divin quant à une quelconque œuvre.
En fait la réputation de la fontaine est rattachée à l’intermittence particulière de l’écoulement de ses eaux.
Selon la tradition orale, la fontaine aurait d’abord commencé à faire coïncider l’écoulement de ses eaux avec les heures de prière. La majorité des pratiques, citées plus haut, doivent dater de cette période. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Aux heures de prière, affirment des natifs de la région, les eaux couleraient toujours (avec un écart plus ou moins important mais ne sauront excéder les 30 minutes), il reste que l’écoulement lui-même devient assez rare.
Toujours selon ces natifs, au moment du jaillissement des eaux, un impressionnant grondement, comparable à celui qui accompagne un tremblement de terre, sa fait entendre au point qu’on croirait que la montagne qui se dresse au au dessus de la fontaine va s’écouler, l’eau déferle alors en « coup de bélier » d’une énorme cavité rocheuse pour bientôt donner naissance à une cascade.
L’endroit, où arbres, fleurs et verdure (durant la belle saison) participent de l’enchantement, devient alors paradisiaque et une immense paix intérieure envahirait les personnes présentes.
La source ne reçoit plus actuellement que peu de visiteurs, car hormis les habitants de la région - et quelques rats de bibliothèque - rares sont ceux qui connaissent encore son existence.
La légende d'Ain El Aouacat devenue Ain Mchaki, déroulant sa trame sur dix siècles, est si belle et si attachante, qu’une explication d'ordre "hydraulique"rattachant le phénomène à la fonte des neiges faisant déborder, à certains moments, les nappes alimentant la fontaine ne saurait, peut-être, que nous "décevoir".
A.B
1: Abou Obeid El Bekri. Description de l’Afrique septentrionale. Édition bilingue. Traduction de Mac Guckin de Slane. Ed. Adrien – Maisonneuve. Paris. 1965. P.163.
Voilà, c'est ma ville, Constantine, la maison où on est né et dont on sent toute sa vie que c'est sa véritable maison, même si on habite ailleurs. Ce chemin, qu'on voit au second plan, dont une partie est formée par le pont enjambant les chutes, je l'ai emprunté à pied d'innombrables fois.
Que de beaux souvenirs, alors, quand au petit matin nous descendions nager.
C'est le Chemin des Gorges, qui mène aux Piscines de Sidi-M'cid,
il fut inauguré en 1929. Ce chemin, outre son pittoresque,
a la particularité d'offrir un panorama "inversé" de l'abime,
de "bas en haut", mais tout aussi impressionnant.
Constantine est reconnue, de par le monde, comme un des hauts lieux du tourisme, en termes de sites et de dépaysement. Cet aspect est aujourd’hui perdu de vue, faute d’infrastructures, mais aussi du fait de l’inconséquence des hommes.
Constantine était pourtant appréciée, tant par les gens de passage que par ses habitants. C’était un lieu de villégiature, où tant de choses, tant chez les hommes que dans la nature faisaient qu’on s’y attachait.
Gens de savoir, artistes, musiciens et poètes, habiles artisans, honorables négociants, figures épicuriennes, hautes en couleurs, courageuses et généreuses
personnalités, fiers serviteurs de Dieu et grands amoureux de la vie, faisaient de cette ville, alors à l’échelle de ses habitants, un endroit privilégié.
Privilégiée, Constantine l’était aussi, par son site grandiose, où roche, eau et verdure se marient en une rare harmonie, pour faire de la ville et de ses
environs, un lieu enchanteur, dont la félicité fut maintes fois chantée, en musique « Ksemtini ». Cette belle musique, dont le raffinement,
même en allegro, ne s’est jamais démenti, démontrant la virile douceur des mœurs constantinoises. Musique dont les fluides sonorités, ne manquent jamais d’évoquer, outre le rossignol, le murmure
des eaux. Constantine tirait sa vitalité de ses hommes et de son eau.
Car, on ne le souligne pas assez, l’eau était partout, dans les fontaines publiques de la ville et en d’innombrables endroits connus pour leur
beauté.
On citera les bassins « Rémès », au fond des gorges, où par la grâce d’une source généreuse, l’eau coulait à flots, pour le plus grand bonheur des ébats des
petits et des bains ou baignades des plus âgés. On pouvait accéder à ces lieux de joie et de détente, grâce au fameux Chemin des touristes, miraculeuse corniche pédestre, qui serpentait à flanc
des parois vertigineuses du ravin, offrant au visiteur des sensations uniques au monde.
On citera aussi Sidi M’cid, rare rendez-vous de l’exubérance de la nature, de la dextérité des hommes et de l’émotion d’un dévotion au-delà des croyances
des uns et des autres, animistes, juives et musulmanes.
Sidi M'cid! Site féerique s’il en est, appréciable en toutes saisons, grâce à la source d’eau chaude, dont on ne sait aujourd’hui si elle s’est tarit ou a
vu son cours souterrain détourné, à moins, comme me le confiait sérieusement un vieux d’El Ghaba (nom donné aux environs du site), qu’elle ne soit "fâchée" contre
nous. Cette source alimentait trois piscines, la « P’tite », avec sa
pittoresque cascade et son rocher creux, le « Primo » avec sa forme irrégulière et ses abords ombragés dallés de brique, où il faisait bon s’allonger, à même le sol, en été et l’« Olympique »
vaste bassin de compétition, avec ses plots, son plongeoir et …ses anneaux olympiques stylisés.
Les piscines et la table réputée du bel établissement que fut le Palmarium (à l’instar de celle du Cirta, du Transat et de l’Aéroport), dont les terrasses
donnant directement sur les bassins, furent longtemps, avec le Casino municipal (qui aura vu la prédiction de son rasage, connue à Constantine, effectivement se réaliser), synonymes de joie de
vivre constantinoise, une joie de vivre naturelle, une propension à la joie et au divertissement.
Citons aussi la grande voûte souterraine, sous le pont d’El Kantara, lorsque le fleuve disparaît au regard, merveilleuse grotte, où le Rhummel forme un
véritable lac sous le roc, où stalagmites et stalactites forment d’étranges silhouettes de piliers gothiques, où fontaines et cascades finissent par charmer, après les yeux,
l’oreille.
L’oreille qui entendra plus bas, en aval, le bruit des chutes de Sidi M’cid, que surplombe un pont en
pierre taillée, d’où on peut deviner, au loin, le mausolée du légendaire Sidi M’hamed el Ghorab (qui mis dans un sac et jeté dans l'Abime depuis le sinistre Kef chkara s'est
transformé en corbeau) et ses gueltas, lieux de cérémonies maraboutiques, où l’eau et les tortues, sont au centre de spectaculaires rites féminins propres à la région.
Que d’eau, aussi, sur les hauteurs, à Djebel el Ouahch, où des travaux d’aménagement et de
drainage au début du siècle dernier, ont permis l’apparition de charmants lacs artificiels, au milieu de bois où il a fait bon se promener
pour des générations de Constantinois.
Comme il fera toujours bon se promener le soir, sur le Boulevard de l’Abîme, cherchant la mer, au delà du mont Chettaba et découvrant, finalement, les plus
beaux couchers de soleil, ici, à Constantine.