Tarzan, le nom à lui seul évoque les images et les sensations les plus vives. Celles rattachées à l'aventure et à l'action exaltante, à la jeunesse et aux rêves ardents. Né en Amérique, en 1912, sous la plume d'Edgar Rice Burroughs, son nom raisonnera partout dans le monde, avec la même ferveur, dans le cœur de millions de lecteurs puis rapidement de spectateurs.
En Algérie, c'est sous les traits de Johnny Weissmuller, le bel acteur champion du 100 mètres crawl, que Tarzan conquit les cœurs et les esprits de milliers de jeunes.
A Constantine, par exemple, Tarzan est né sous les yeux encore émerveillés par la magie des frères Lumière, aux salles d'antan Nunez et Cirta. Deux salles de cinéma «indigènes», dont on se souviendra que la seconde accueillit Farid El Atrache, pris à partie par des militants du PPA, pour le «saut périlleux» qu'avait fait son «tapis volant» musical par-dessus l'Algérie et sa revendication identitaire.
Rapidement, aux piscines de Sidi M'cid et à la Cuvette, près de la Gare, au niveau de la Forêt des Pins il y eut des Tarzan et un djebel Tarzan.
Du côté de Sidi M'cid, c'était le culte du beau corps, on nageait, on faisait du vélo sur la route de Mila, on était sociétaire du CSC, né en 1898, s'il vous plaît (pour alimenter la traditionnelle polémique avec le MCA), on faisait partie des scouts, on se gominait les cheveux, on écoutait Abdelouahab, on portait parfois un Osmanli (Fez) et... on aimait Hollywood.
Deux figures en particulier frapperont les jeunes esprits d'alors, «Ralph Scamboot» pour Randolph Scoot et Johnny Weissmuller.
Nul hasard s'il s'agit là des acteurs représentatifs des deux grands genres qui firent le succès du cinéma populaire américain, le western et le film d'aventures.
Auxquels il faut ajouter le comique avec Bétabot et Locstello, pour Bud Abbot et Lou Costello, dont on a longtemps inversé les noms, au gré des consonances : Bétabot «faisant» gros et Locstello plutôt maigre.
Tarzan était pour les gamins qui allaient jouer au ballon à la Cuvette, du côté du Chalet des Pins, un modèle qu'ils suivaient déjà de la manière la plus élémentaire, en s'accrochant à de longues cordes nouées aux branches des arbres, comme autant de lianes pendantes, sur un monticule baptisé depuis lors Djebel Tarzan, imitant le célèbre cri de la jungle (en fait du Tyrol natal du père de Johnny Weissmuller).
Il y eut une tentative d'imposture, qui révolta les enfants de Sidi Rached, de Sidi Mimoun et de Sidi Eldjellis, qui dénoncèrent à grands coups de boycott, l'apparition d'un «faux» Tarzan à l'écran : le pauvre Buster Crabbe reparti, illico presto et sans demander son reste, en Pathé métropolitaine.
Tarzan était ce personnage mythique, sauvage comme le colonisé, héritier déchu d'une grande lignée, comme les Arabes, mais capable de réussir et de dominer le monde malgré son dénuement, comme les indigènes, jusqu'à prendre sa revanche sur l'histoire, qu'on se rappelle Tarzan en smoking dans Les Aventures à New York, comme les Algériens.
C'est pourquoi le cinéma fut un formidable outil d'ouverture sur le monde, une projection des aspirations à une vie meilleure et donc de promotion des idées et des valeurs universelles.
Comme il développera le sens esthétique et constituera un puissant levier à la réflexion.
Les studios d'Hollywood et de Misr furent, malgré eux, les instigateurs d'une nouvelle vision du monde et de soi chez les jeunes Algériens nés dans les années 1930.
C'est le film Tarzan, l'homme singe, réalisé en 1932, douze ans après le premier Tarzan du cinéma, qui rend le personnage d'Edgar Rice Burroughs célèbre et consacre, plus que le roman et la bande dessinée, le mythe.
Un mythe particulier, populaire mais aussi profondément philosophique, qui relève tant de l'aventure que de l'humanisme. Une allégorie qui consacre l'espoir d'un retour à la nature, à un monde certes primitif et hostile, mais dominé par l'homme, libéré des aliénations de la société mercantile et mécaniste.
A l'inverse des Superman et Batman, c'est un héros sans costume, à mains nues, libre et heureux, qui trouve sa force en lui-même, dans un arc-boutement de la volonté, dans un prodigieux dépassement de soi, que symbolisent admirablement les illustrations de Burne Hogarth, ou l'image de Tarzan atteint parfois au sublime de l'expression humaine.
De l'archétype de Tarzan débouchait toute une vision du monde, avec l'adhésion aux valeurs pérennes du dépassement de soi.
Bonté naturelle, volonté agissante et action transcendante,le meilleur de l'homme, voilà la parabole à portée du plus grand nombre, qu'offrait aux jeunes algériens d'alors le mythe de Tarzan. Et qu'il peut encore offrir à ceux d'aujourd'hui.